Comme une impression de saturation
La région Annemassienne, au nord de la Haute-Savoie est frontalière avec la Suisse et l’agglomération Genevoise. Cette proximité, avec l’éclatement de l’économie dématérialisée et spéculative dans les années 70 a considérablement transformé la région. D’une région agricole de montagne, elle est devenue aujourd’hui l’une des plus dynamiques de France sur le plan de l’emploi et attire chaque année des milliers de personnes.
La pression, tant pour la construction de logements, que de commerces ou d’infrastructures de transport, y est énorme. D’autant que le foncier constructible est très réduit du fait de la présence du lac Léman et des massifs montagneux environnants. L’agglo est classée troisième en France en termes de pollution de l’air, et l’impression de saturation à tous niveaux y est plus que palpable. Les fermes restantes subissent de plein fouet cette pression urbaine féroce. Le coût du foncier atteint des sommets. La circulation du bétail et du matériel est contrainte, les conflits d’usage ainsi que les vols sont nombreux, bref, les paysans se noient progressivement dans un décor de plus en plus hostile.
Annemasse Agglo, la communauté de commune du territoire, connaît cet état de fait et cherche tant bien que mal à arbitrer les demandes multiples qui lui arrivent. Des divergences de vues importantes se retrouvent entre les élu(e)s, avec d’un côté les « développementistes », les plus nombreux (ses), qui voient avant tout les emplois créés, les rentrées fiscales…
Quant aux autres qui pensent que la préservation du climat, de l’eau, des terres agricoles et d’un minimum de souveraineté alimentaire territoriale doit primer sur le bétonnage et certains intérêts économiques, ils sont isolé(e)s voir raillé(e)s. Aujourd’hui, l’agriculture n’apparaît dans aucun document officiel traitant de développement économique. L’agriculture reste cantonnée au cadre de vie et à l’environnement… elle ne fait pas partie des choses « sérieuses » et préoccupantes. L’aménagement du territoire s’organise aujourd’hui à partir du centre-ville, la campagne n’est plus que l’espace de loisir des urbains en mal de verdure.
Un terrain vierge ? Il faut l’aménager !
C’est dans ce contexte qu’est apparu le projet de zone dit «Borly II», soit 20 ha sur la commune de Cranves-Sales, dont 8 destinés à la construction immobilière et 12 destinés à accueillir une zone artisanale. Le terrain est plat, « vierge » ou « libre » au sens du BTP puisque entièrement agricole depuis quelques milliers d’années. Avant le projet actuel, il avait déjà par le passé fait l’objet de convoitises : dès 1995 pour la construction de l’autoroute A400 dite transchablaisienne, annulée grâce à la pression populaire et associative ; ensuite pour le centre hospitalier Alpes Léman, finalement construit ailleurs mais dont le projet avait conduit la commune à acheter une partie des terrains que l’on retrouve désormais dans Borly II. Il aurait été dommage de remettre cette réserve foncière à sa fonction première, celle de nourrir les hommes. Vu le travail réalisé, la collectivité a converti la zone en future zone d’activité.
Les collectivités ont signé, pour un projet estimé à 14,8 millions d’euros
Le parcours légal est bien avancé puisque la zone est inscrite à la fois dans le Schéma de Cohérence Territoriale (SCOT) de l’Agglo d’Annemasse et dans le Plan Local d’Urbanisme (PLU) de Cranves Sales. En effet, le SCOT, voté en 2007, prévoyait une réorientation de cette « réserve foncière » vers un aménagement en zone d’activités. Les élections municipales de 2008 à Cranves Sales ont amené les équipes suivantes à inscrire le PLU communal dans ce SCOT et à continuer à travailler pour définir le projet d’aménagement. La zone de Borly II est destinée à accueillir des activités artisanales, industrielles et tertiaires1. D’après le procès verbal du conseil communautaire du 22 juillet 2015, l’aménagement, qui repose sur un engagement de la Collectivité à mettre en place des voies d’accès et les réseaux (eau, électricité, etc…), se fera sur plusieurs années, progressivement, en fonction de la demande. Le coût total du projet est estimé à 14,8 millions d’euros financés par : une participation d’Annemasse Agglo, des subventions et participations versées par des collectivités tierces, et des recettes de commercialisation de charges foncières.
L’emploi, unique enjeu du projet selon l’agglomération
Entre 140 et 150 000 m² de foncier viabilisé seront ouverts à la commercialisation, ce qui, selon les estimations fournies par l’agglomération, représente un potentiel de création d’environ 700 emplois.
Cependant on peut très fortement douter d’un chiffre à l’emporte pièce issu de matrices théoriques que l’on sait toujours surestimées pour faire pencher la balance. Au dire du maire de la commune de Cranve Sales, il s’agit avant tout « d’entreprises existantes » souhaitant « se développer » et qui donc se relocaliseraient sur la zone… tout comme les emplois déjà existants. La création d’emploi est donc clairement surestimée sur ce projet.
La collectivité insiste également beaucoup sur les demandes en attente à la Maison de l’économie et Développement (MED) et sur l’emploi local à générer. Mais l’Agglo s’est-elle demandée quels étaient les besoins des agriculteurs et ceux qui souhaitent le devenir ?